« La Décroissance, malbouffer moins, s’alimenter mieux » dans Politis

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La Décroissance, malbouffer moins, s’alimenter mieux

Souvenons-nous de ces années 70. L’an 2000 nous paraissait bien loin, et nous imaginions nos modes de vie en totale rupture avec nos modes de vie d’alors. On nous prédisait même une alimentation faite de comprimés, de pilules et de pâtes en tube.

Heureusement, en 2013, les occidentaux ne sont pas tombés dans cette horreur alimentaire. Nous mangeons toujours du cru et du cuit, du salé et du sucré, des protéines animales ou végétales, des légumes et des fruits.
Les produits sont frais, ils ont du goût et sont nutritifs. La terre est fertile, l’agriculture est biologique et diverse.
Les repas sont préparés sainement à la maison, il n’est pas question de ces produits chimiques que nous aurions avalés avec des fichues pilules. Notre alimentation nous équilibre, elle participe à notre santé physique et morale. En effet, nous avons le temps de préparer les repas et de les partager. Nous mangeons rarement seuls, et les repas sont aussi des moments de convivialité et de liens sociaux.
Et surtout, en 2013, tout le monde mange à sa faim.
Heureusement, en 2013, les occidentaux ne sont pas tombés dans l’horreur alimentaire.

Vraiment ? Non, pas vraiment !
En 2013, tout le monde ne mange pas à sa faim.
Et ceux qui n’ont pas faim, sont souvent malades de consommer, au lance-pierre dans n’importe quelles conditions, ces plats préparés par l’industrie. Ils sont aussi malades du business des régimes alimentaires et des produits pharmaceutiques sensés leur rendre leur bien-être. En plus d’être mauvais pour la santé, ce mode d’alimentation détruit l’environnement. Il est énergivore, de la production agricole, jusqu’à « l’élaboration » des plats préparés, en passant par des transports irrationnels. Il n’y a quasiment que les classes les plus aisées qui ont accès à de la nourriture saine et fraîche, qu’ils dégustent sans stress. On se demande bien pourquoi les responsables de grands groupes agro-alimentaires ne se nourrissent pas de la malbouffe qu’ils produisent ! Ils ont tout autant intérêt à ne pas avaler leur saloperies, qu’à nous les vendre… peu importe, pour eux, si nous les avalons.
Et oui, l’alimentation est un outil du capitalisme. Et oui, la faim est un outil de domination dont se sert le capitalisme.
Car en 2013, tout le monde ne mange pas à sa faim.
La faim, la malbouffe, le mal-vivre, ne sont pas des fatalités. C’est un choix pour les uns, un consentement plus ou moins inconscient pour les autres. Ces derniers sous-estiment les conséquences de « se nourrir ».
La recherche systématique du profit a perverti la raison d’être de l’agriculture, l’objectif n’étant plus aujourd’hui de nourrir le monde. Le système doit faire de la « croissance » et du profit.
Pour faire du PIB, il faut dépenser de l’énergie. Nous assistons au spectacle d’une industrie hyper consommatrice d’énergies et de ressources. Trop d’eau consommée, notamment dans l’élevage. Une agriculture perfusée au pétrole (via les engrais et les pesticides). Des produits qui parcourent des milliers de kilomètres dans des véhicules réfrigérés, et qui sont transformés plusieurs fois (produits « élaborés », dit-on). Suremballés. Gâchés.
Pour faire ce profit, et écouler la production, des systèmes ont été mis en place pour conditionner culturellement les populations occidentales à la malbouffe. Les premiers étant le matraquage publicitaire, les prix, la règlementation défavorable aux produits bio au détriment de la qualité des produits…. et aussi en créant de nouveaux usages de la terre. En effet, les voitures, c’est insatiable, alors pour être certain de faire du profit durablement, autant les nourrir avec des agro-carburants, quitte à exproprier des populations avec l’accaparement des terres qui fait des ravages ! (1)
Et pour assurer ce profit, ce système devient hyper-inégalitaire dans l’utilisation des ressources et la répartition des richesses, en sur-exploitant sans aucun scrupule des terres agricoles du Sud. Jusqu’à affamer les paysans locaux.
Nous voilà donc habitués à des produits de qualité plus que médiocre et à une filière agro-alimentaire qui n’est plus soutenable. Nous voilà indifférents aux conditions de vie animales, de la naissance à l’abattoir, aux scandaleuses conditions de travail dans l’agro-alimentaire, à l’utilisation aveugle d’OGM, de pesticides.
Qui peut encore prétendre savoir comment son repas est arrivé jusque dans son assiette, comment retracer le parcours de sa nourriture? Le récent scandale de la viande de cheval a montré que même le système est opaque à lui-même. L’alimentation mondialisée, délocalisée et par conséquent hors-sol, n’a qu’un très faible potentiel de résilience, son fonctionnement n’est pas soutenable, et c’est dès maintenant qu’il faut en préparer la sortie.

Parvenir à une alimentation saine nécessite d’activer deux leviers.
Pour le consomm’acteur, il est indispensable d’aménager sur les lieux de travail des cantines où les repas sont cuisinés sur place, de disposer de vraies pauses déjeuners laissant le temps d’échanger et de manger, mais surtout, à terme, c’est la question de la réduction du temps de travail qui se pose, afin de dégager du temps pour préparer soi-même ses repas, et du retour à la terre, même en ville, pour réapprendre à cultiver son potager, idéalement en groupe dans les jardins partagés.
Sur le plan sociétal, la production doit venir à bout de sa dépendance au pétrole. Seules des exploitations agricoles à taille humaine permettront de sortir de l’industrialisation, notamment en augmentant la main d’oeuvre, ce qui allégera le temps et la charge de travail de chacun. Seules les petite exploitations sont à même de favoriser l’expérimentation de nouvelles méthodes de cultures et de ménagement des territoires, au premier rang desquelles l’agro-écologie, l’agro-forestrie et la permaculture (3). L’objectif est aussi, à terme, de rendre chaque  territoire autonome et de faire évoluer les rapports de domination et d’exploitation entre le Nord et le Sud. Se nourrir bien passera nécessairement par la relocalisation.
Il faudra se réapproprier le savoir, les pratiques, redonner la prééminence au droit d’usage de la terre plutôt qu’au droit de propriété, débattre vraiment sur les OGM, entre autres.
Les pistes de sortie ne manquent pas, pour rendre notre alimentation soutenable, conviviale, juste et démocratique. Mais les obstacles à ce profond et indispensable changement sont encore nombreux, et clairement identifiés. Les mêmes résistances qui s’opposent à la sortie du capitalisme et du productivisme sont ici aussi à l’oeuvre. Créé et tenu par l’oligarchie au pouvoir (“représentants” élus comme grands patrons ou pseudo-experts), tous aveuglés par les dogmes économicistes et scientistes, leur monde promeut sans vergogne la marchandisation du vivant, le consumérisme à tous crins alimenté par l’hyper-productivisme qui a placé la valeur travail comme élément central de toute politique économique.
Face à cela, la seule réponse possible, cohérente, souhaitable, la seule alternative de bon sens est le paradigme de la décroissance.
L’objection de croissance repose sur quatre pieds, chacun de ces niveaux d’action étant mobilisable pour lutter contre la malbouffe et le productivisme agricole, et mettre en oeuvre ces uto-pistes.
Individuellement, à travers ce qu’on appelle la simplicité volontaire, dans l’alimentation comme dans chaque composante de notre quotidien, décoloniser notre imaginaire : se nourrir devrait être considéré comme plus important que la consommation, contrairement à ce que voudrait nous inculquer la publicité. Et pourtant, la part de l’alimentation dans le budget d’une famille est en baisse régulière depuis 60 ans. Sortir du consumérisme, donc, mais aussi revoir les apprentissages, dès le plus jeune âge : apprendre à jardiner, à produire, à cuisiner, à manger, bref inventer  une éducation au « buen comer » en écho au “buen vivir”, ce mouvement populaire équatorien.
Si la reprise en main individuelle est appréciable et indispensable, elle n’est pas suffisante. Alors, il y a ces alternatives concrètes. Des projets collectifs, qui jouent un rôle crucial pour l’exemple qu’elles représentent et qui sont à reproduire et à faire évoluer : permaculture, jardin partagés, cultures biologiques quantitatives, mouvements des Incroyables Comestibles, etc.
La manière dont tout cela peut s’articuler, s’organiser et se généraliser, au sein d’une société, fait partie du projet. Dans le projet, nous trouvons aussi les outils de transition et une réflexion plus générale sur ce que peuvent être des sociétés de Décroissance.
Une réponse institutionnelle est possible en rendant l’autonomie alimentaire aux pays du Sud ou en sortant de la PAC (mais pas uniquement). Il faudra pour cela sensibiliser les élus actuels, notamment européens, et jouer sur les rapports de force plutôt que d’attendre une hypothétique prise de conscience des institutions, afin que chaque peuple retrouve sa souveraineté alimentaire. Pour cela, il faut rendre visible le projet de Décroissance, par l’organisation de rencontres-débats, de manifestations, le passage dans les médias, la participation à des élections de manière non-électoraliste.

L’enjeu alimentaire futur est de se nourrir tout en répondant à des contraintes environnementales, en assurant l’accès au bien-manger équitable, et en redonnant sens à tout ce qui touche à l’alimentaire.
Avec les terres et l’énergie, il s’agit de faire « mieux avec moins ». Il s’agit de donner accès, à tous à des ressources en quantité limitée. Il s’agit de partager équitablement. Une des pistes est de conditionner l’accès, non pas à la propriété ou à l’argent, mais à l’usage. C’est-à-dire qu’après avoir collectivement défini ce qu’est le bon-usage et le mésusage d’une ressource (d’un service, ou d’un bien), l’accès au premier serait gratuit ou quasi-gratuit, alors que l’accès au second serait surenchéri. Par exemple, pour l’accès aux terres, le droit du bon usage doit primer sur le droit de propriété.
Cette notion s’inscrit dans un processus plus global qui est la mise en place d’une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (DIA), sorte de revenu de base “démonétarisé”, qui permettrait à tous de bénéficier de ce qui est nécessaire pour avoir une vie décente et frugale : un « droit de tirage » sur le foncier (3), pour permettre à chacun d’avoir un logement ou un lopin de terre pour être quasi-autosuffisant en nourriture ; un droit de tirage sur les ressources naturelles de base, comme l’eau, le gaz et l’électricité. La DIA donnerait également un droit d’accès, gratuitement, aux services publics, à l’éducation, à la culture. Une partie de cette Dotation Inconditionnelle d’Autonomie serait enfin versée en monnaie locale, pour encourager la consommation locale, de l’alimentation par exemple.

La DIA s’appuie sur le mésusage pour financer la gratuité. C’est pour cela que cette DIA est bien naturellement couplée à un Revenu Maximal Acceptable.
Ce dispositif déjoue les effets d’une récession sans en appeler à toujours plus de croissance et permet ainsi de vivre dignement par le partage de l’existant. Cette démarchandisation du monde en complément de la garantie pour tous d’accéder aux biens et services de haute nécessité, participe à une sortie du consumérisme, du capitalisme et du productivisme, de manière soutenable et socialement juste. C’est en cela, que la DIA associée au RMA, permettrait d’amorcer un changement vers une société du « bien se nourrir ».

Thomas Avenel, Stéphane Madelaine, Vincent Liegey, Christophe Ondet, Cynthia Toupet, Anne-Isabelle Veillot.

1 Voir les travaux d’Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation et le site farmlandgrab.org.

2  « On peut nourrir 10 milliards d’humains en bio sans défricher un hectare »
http://www.terraeco.net/On-peut-nourrir-10-milliards-d,47024.html

3 Voir le chapitre « Droit à se nourrir dignement » page 91 dans Un projet de Décroissance – Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (DIA), Vincent Liegey, Stephane Madelaine, Christophe et Anisabel Veillot, Edition Utopia, janvier 2013.

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