Décroissance et égalité des sexes ? Interview de Vincent Liegey par Sarah Nemno

egaliteVincent Liegey, ingénieur de formation et doctorant en sciences économiques est membre du Parti Pour La Décroissance. Il est le co-auteur de l’ouvrage Un Projet de Décroissance, Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie et répond aux questions de Sarah Nemno sur sa perception des questions de genre.

Sarah Nemno : Te sens-tu une responsabilité particulière vis-à-vis de la promotion de sujets tels que la réduction des inégalités hommes/femmes ?

Vincent Liegey : Je suis objecteur de croissance et comme nous le disons souvent, la première des décroissances doit être celle des inégalités. Dès lors, je me sens responsable vis-à-vis de la lutte contre toute forme d’injustice et d’inégalités, ce qui implique naturellement de se positionner sur le sujet de la lutte pour l’égalité des sexes… Dans une société de l’argent roi, c’est primordial : on peut citer, à titre symbolique fort, les inégalités salariales entre hommes et femmes.

S. N. : Ce que tu prônes, cette décroissance des inégalités, doit-elle nécessairement passer par la déconstruction des stéréotypes de genre ?

V.L. : La Décroissance passe, dans un prisme plus global, par une décolonisation de nos imaginaires, en particulier occidentaux, développementistes, économicistes, utilitaristes… mais aussi, bien sûr, machistes et patriarcaux !

Il nous apparaît comme primordial de prendre du recul avec toutes formes de conditionnements dans lesquels nous sommes enfermés en tant qu’individus, que ce soit à travers l’éducation, les traditions ou la culture… Mais aussi les médias ou la publicité, véritables acteurs de la marchandisation du monde, qui n’hésitent aucunement à instrumentaliser le sexisme pour faire tourner la megamachine. Dans la mesure où les stéréotypes genrés font partie de ces conditionnements, nous devons absolument oeuvrer à les déconstruire pour nous libérer ! C’est-à-dire prendre conscience de qui nous sommes, dans la complexité de nos identités, ce qui est indispensable pour mieux les appréhender et choisir le sens que nous souhaitons donner à nos vies.

Ca doit se faire loin des préconceptions imposées par la société… Il ne s’agit pas d’adapter les un-e-s ou les autres à la société de croissance, encore moins à ses formes patriarcales, différentialistes et clivantes, mais au contraire de la transformer, en mettant en avant la non-violence et que chacun-e puisse s’y épanouir dans le respect des un-e-s et des autres.

S. N. : Concrètement, y a-t-il des outils ou des process mis en place au sein du mouvement de la Décroissance pour aboutir à cette égalité ?

V. L. : Nous avons la chance d’être dans un mouvement, en particulier une petite structure (le PPLD), où la plupart des membres ont déjà fait une bonne partie du chemin. Ainsi, cette égalité se met en place de manière assez naturelle. Nous avons tout de même réfléchi à la mise en place d’un système de parité, notamment pour les porte-parole, lors de nos travaux sur les statuts et la charte de fonctionnement de l’Association d’Objecteur de Croissance.

Mais l’outil principal participant à ce type d’égalité, c’est la communication non-violente : écoute, tour de table, gestion des conflits par le dialogue, respect des désaccords, prise de décision au consensus, transparence, etc. C’est l’outil le plus juste pour dépasser et déconstruire sans brusquer les inégalités de genre, et de manière générale toutes forme d’inégalités en société !

S. N. : À propos de la parité que tu évoques, qu’une femme participe à l’écriture du livre, c’était voulu ?

V. L. : Pour être honnête, je ne me suis jamais posé la question. Je dirais plutôt que j’écris, collabore avec des personnes qui partagent la même conception que moi de la non-violence, du respect des diversités et des sensibilités. Cela va au delà de la question des inégalités des sexes, tout en les prenant en compte. Mais oui, le fait que notre collectif soit mixte, ouvert et réceptif à toutes et tous, et tout particulièrement aux plus exploité-e-s et aux victimes du système, c’est essentiel pour la cohérence de nos réflexions ! Et ça l’est d’autant plus dans le désir qui nous anime de construire une transition démocratique, sereine et conviviale vers de nouveaux modèles de société socialement justes et écologiquement soutenables.

S. N. : Penses-tu que l’ensemble de la scène politique s’est suffisamment emparée de ces problématiques de déconstruction des stéréotypes de genre et d’égalité des sexes ? 

V. L. : Bien sûr que non. La parité souvent mise en avant est certes nécessaire, même si elle pose des problèmes. Le comportement de certaines femmes de pouvoir n’a par exemple rien à envier en terme de violence, d’autoritarisme et aussi de malhonnêteté ou de suffisance à leurs collègues, tous plus machos les uns que les autres ! Cette parité se contente d’une égalité de façade, intégrant les femmes à un système reposant sur des bases patriarcales et sexiste, lorsqu’il s’agirait d’opérer des changement de fond sur le système pour l’ouvrir à tous et à toutes. Il faut agir en amont et prôner une déconstruction de ce qui pose problème à la base, et ainsi prendre en compte celles et ceux que la société souhaite invisibiliser.

S. N. : L’actuel gouvernement est en train de mettre en place un programme expérimental de déconstruction des stéréotypes de genre : c’est suffisant d’après toi?

V. L. : Ce programme va dans la bonne direction mais il est loin, bien loin d’être suffisant. L’enjeu est vraiment de nous désaliéner de cette société de consommation, de compétition et de domination.Ca doit d’abord passer par la suppression du pire outil de colonisation de nos imaginaires : la publicité. Elle n’est pas la dernière à véhiculer, renforcer, exploiter et jouer des stéréotypes de genre…

En second lieu cela passe par une mesure égalitaire que nous nommons Dotation Inconditionnelle d’Autonomie. C’est un outil qui doit permettre à toutes et à tous de se réapproprier le sens que nous souhaitons donner à nos vies. Sans cibler les femmes spécifiquement, cette mesure y contribue et peut aider à se désaliéner des violences symboliques, mais aussi systémiques que nos sociétés véhiculent. La Décroissance est une pensée qui se nourrit d’altérité et de diversité pour aboutir au mieux-être de tous et de toutes : il est donc essentiel que toutes les sensibilités, sans tenir compte des catégories de genre, d’origine ou d’orientation sexuelle y trouvent leur place.

Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet, Anne-Isabelle Veillot.
Co-auteurs d’ « Un projet de décroissance. Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie« , préface de Paul Ariès. Les éditions Utopia, 150 pages, 7 euros.

« […] La condition pour réussir cette transformation radicale de l’économie est « une forte adhésion de tous et une participation à cette volonté de changement ». Pour le moins… Mais il faut bien commencer un jour, et ce petit livre stimulant y contribue incontestablement. » Hervé Kempf dans Le Monde.

« […] Et le succès rencontré par l’ouvrage peut laisser penser que «la transition est bel et bien en marche».  » Emmanuel Daniel sur Slate.fr.

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