Protectionnisme et Décroissance ? Pour une relocalisation ouverte – Les Z’indigné(e)s

Publié dans Les Z’indigné(e)s n° 16, Juin 2014.
Les Z'indigné(e)s n° 16
Le « protectionnisme » est une notion qui revient très souvent quand il s’agit d’imaginer des solutions pour faire face aux affres du libéralisme. Nos amis de gauche le mettent souvent en avant, et même si nous comprenons et partageons leur démarche, nous émettons quelques réserves. En effet, en tant qu’objectrices et objecteurs de croissance, nous restons prudents, pas uniquement avec le diagnostique et les propositions, mais avec le terme en lui même et ce, pour plusieurs raisons :

– Le protectionnisme fait écho à la société de la peur… il faut nous libérer de cette domination qui fait le jeu des oligarques et des extrêmes droites :

Nos sociétés, qui plus est avec l’intensification des plans d’austérité imposés par l’imposture des dettes publiques, sont dominées par des peurs économiques légitimes : peurs du déclassement, de perdre son emploi, du non remboursement d’un prêt, pour l’avenir de ses enfants, etc. La réponse à ces peurs ne doit pas s’inscrire dans une réaction simpliste : se protéger. De qui, de quoi ? Tout le monde subit les désastres sociaux, humains et écologiques de ce système productiviste oligarchique aberrant. Ce n’est pas en s’inscrivant dans une réaction au problème que l’on peut s’en sortir. Ce qui nous dérange est que le terme de protectionnisme peut s’avérer en adéquation avec les discours simplificateurs et démagogiques des extrêmes-droites et ainsi éluder les vrais débats de fond : la crise anthropologique.

– L’enjeu n’est pas tant de réguler l’économie que de sortir de la religion de l’économie :

Nous vivons dans des sociétés culturellement dominées par l’argent, la concurrence, la compétitivité et des imaginaires colonisés par l’homo-economicus. Or, le problème n’est pas de trouver des palliatifs pour adoucir la tyrannie de l’économie mais bien d’en sortir et de nous libérer de ces addictions, de faire des « pas-de-côté » et de questionner le sens de nos productions bien plus que d’en protéger leur localisation. L’enjeu est de revenir à de vraies questions : celles du sens de nos vies, de nos productions, de nos consommations et de nos échanges.

– Ne plus être sur la défensive, ce que véhicule le terme de protectionnisme, mais au contraire, construire et se réapproprier l’espoir en se tournant vers de nouveaux paradigmes :

L’enjeu n’est pas tant de grignoter des miettes ici ou là pour sauver de l’emploi. L’enjeu est encore moins de réindustrialiser nos sociétés dites développées. Il ne s’agit donc pas, à l’image de ce que propose le développement durable pour les enjeux écologiques, de « polluer moins pour polluer plus longtemps », de « protéger plus pour produire plus longtemps dans des conditions indignes, des saloperies inutiles ». L’enjeu est d’initier des transitions vers de nouveaux modèles de sociétés à la fois écologiquement soutenables et socialement juste, des sociétés conviviales et autonomes.

Pour ces trois raisons, nous sommes critiques et prudents avec le terme « protectionnisme », trop sur la défensive et dans la logique du système. Nous préférons parler de « relocalisation ouverte ».

La proposition de relocaliser les productions ne se fait pas pour se protéger « d’autres » ou contre « d’autres » mais bien pour redonner du sens à nos sociétés :

– Un sens énergétique et environnemental ou écologique :

Nos sociétés se sont développées sans se soucier des distances : automobiles, avions, cargos mais aussi télécommunications semblent les avoir réduites. Pourtant, le gâchis énergétique est terrible, le temps de travail perdu et l’intelligence humaine gâchée également. Cette organisation provoque des pollutions, des encombrements malsains, des accidents et des mal-êtres. Cet aménagement des territoires ne les ménage pas. Prendre en compte l’enjeu écologique nous contraint à nous questionner sur le sens de ce que nous produisons et à relocaliser les productions qui peuvent l’être.

– Un sens humain : entre convivialité et décroissance des inégalités et des dominations :

Produire, échanger et consommer local c’est changer son rapport à l’autre, à l’outil et à l’environnement. Nous vivons dans une illusion de toute puissance, une illusion de liberté de consommer et d’individualisme : le monde est organisé d’une telle manière que nous ne sommes jamais confrontés aux conséquences ni environnementales ni humaines de nos actes de consommation. Cette banalité du mal entretenue par le déni nous fait accepter, loin de chez nous, l’exploitation dans des conditions de travail indignes, des conséquences environnementales terribles que nous refuserions si elles concerneraient nos enfants, nos proches, nos voisins ou nos territoires.

– Pour une relocalisation mais ouverte, car l’ouverture c’est la solidarité, le partage, l’hospitalité, les échanges interculturels :

Nous sommes dans un monde globalisé d’une complexité sans précédent nécessitant des interdépendances techniques, en ressources et en productions monstrueuses. Dans une logique de transition démocratique et sereine comme soutenue par la Décroissance, nous aurons besoin de solidarités et de concertations, donc d’ouvertures, de mains tendues.

Des sociétés relocalisées refermées sur elles-mêmes ne peuvent être ni souhaitables ni des options d’avenir. Au contraire, nous avons besoin de nous ouvrir aux autres pour profiter de la richesse culturelle, des échanges d’expériences, de savoir-faire et de savoir-être… C’est le « buen vivir » que promeut la Décroissance. C’est comme cela que nous nous protégerons collectivement de toutes formes de dominations, que nous pourrons nous libérer de l’économie et des peurs qu’elle entretient.

Là où le terme « protectionnisme » risque d’éluder les vrais problèmes, et d’entretenir l’illusion de fausses solutions simplistes comme le repli sur soi, sur la nation, nous préférons la relocalisation ouverte de nos productions et de nos vies, signes de convivialité, de justices sociales et environnementales sur fond de solidarités.

Vincent Liegey, Christophe Ondet, Stéphane Madelaine et Thomas Avenel
Pour le collectif « Un Projet de Décroissance« .

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