Fiction hongroise : Viktor Orbán engage la Hongrie dans la décroissance


Traduction d’un article paru le 15 avril sous le titre « MESE VIKTOR ÉS A NEM-NÖVEKEDÉS TALÁLKOZÁSÁRÓL » sur le site VS.HU. Son auteur, Vincze Szabo, imagine un Premier ministre hongrois qui se réveille transformé au lendemain de sa victoire aux législatives  du 6 avril. 

Viktor est réveillé par le chant du coq. Il se lève, difficilement, scrute par la fenêtre l’aube qui prend ses aises au-dessus des toits de chaume. La hazi palinka de la veille passe mal, mais l’odieuse lourdeur de l’esprit est compensée par une large victoire : la révolution par les urnes initiée en 2010 est confirmée. Les pleins pouvoirs. A nouveau. Les institutions ont été réformées, le grand changement, le vrai, pas celui de 90, enfin initié. La Hongrie, ce petit pays d’Europe Centrale, contre vents et marées a su faire face à toutes les tentatives de complots venues de l’extérieur : les banques, les multinationales, la Troïka, les occidentaux n’auront pas su détourner le peuple hongrois de son histoire. Trop discréditées ces marionnettes libérales qui ont mis le pays à terre dans le courant des années 2000.

Tandis qu’au miroir il réordonne une tignasse anarchique, Viktor songe aux quatre nouvelles années difficiles qui sont devant lui. Que faire ? La Hongrie, ce petit pays incompris, cette île isolée au milieu de l’Europe Centrale, se trouve à la croisée des chemins.

Après tout, Viktor n’a-t-il pas déjà ouvert la voie avec ses mesures hétérodoxes, d’abord violemment décriées, durant la crise ? Pourtant, les résultats sont là. La croissance est au rendez-vous. La Hongrie, ce grand pays d’inventions, de créativité, d’innovations, est en passe de devenir le moteur de l’Europe. L’ouverture à l’Est amène des investissements massifs en compléments de ceux qui viennent de Bruxelles.

Viktor n’a pas eu le temps de regarder tous les cadeaux qu’on n’avait de cesse de lui offrir durant sa campagne. Il tombe sur un livre qui dépasse d’un sac et s’en saisit pour en déchiffrer le titre : « Small is beautiful », de Ernst Schumacher. Serait-ce une provocation de plus contre la grande Hongrie ? Cela l’agace, Viktor n’aime pas, n’aime plus ni les provocations, ni les contradictions… Il s’assoit sur le bord du lit et se plonge dans les premières pages. Sur l’horloge murale qui surplombe le lit, les aiguilles défilent, sans que rien n’arrête le mouvement compulsif des doigts de Viktor sur les pages du livre. C’est une révélation ! Le petit, la communauté, l’harmonie avec la terre, le sens des limites, l’autosuffisance, l’autonomie… Le téléphone sonne. Viktor se décide toute de même à répondre. Le sens des responsabilités probablement. On l’attend à Budapest. Le trajet n’entravera pas sa lecture.

La Hongrie sera grande si elle est belle… si elle est petite.

Dans le minibus qui le mène à la capitale, il en arrive au chapitre sur le nucléaire. Il se redresse nerveusement sur le siège arrière au revêtement de cuir. Encore un complot des Occidentaux. La technologie nucléaire, ce sont les Hongrois qui l’ont mise au point, et puis le pacte avec Moscou assure l’indépendance énergétique de la Hongrie…

Durant quelques instants, il arrête sa lecture, et scrute par la fenêtre les paysages de campagne qui défilent sous ses yeux. En cette belle matinée de printemps, la lumière est magnifique sur les grandes plaines de Hongrie. Des paysans se rendent au champ à vélo. Il reste songeur. Absorbé par sa lecture, il s’étonne de se retrouver dans les bouchons de Budapest lorsqu’enfin il prend le temps de relever la tête. Ces zones commerciales où s’étalent les marques décadentes de l’Occident : Ikéa, Auchan, Tesco, Décathlon… Un drôle de sentiment l’envahit, un début de nausée…

La journée passe. Viktor se plie de bonne grâce à ses obligations nationales, le nouveau Gouvernement est annoncé. Pour autant, et bien qu’il se laisse absorber par le mouvement ininterrompu qui l’entoure, il n’est mû que par la hâte de se perdre à nouveau dans sa lecture. Ereintée par cette longue journée, il rentre se coucher mais est bien incapable de trouver le sommeil.

Discrètement, il se relève, s’assied devant son ordinateur. Il tape Ernst Schumacher sur un moteur de recherche. Il clique. Il surfe. De fil en aiguilles, il se retrouve sur la fiche Wikipédia du grand Karl Polanyi, l’auteur de « La grande transformation ». Un Hongrois. Lui aussi précurseur. La Hongrie, toujours, pays ayant entamé sa révolution industrielle avec retard. Polanyi parle à ce propos d’une erreur anthropologique. Il faut remettre l’économie à sa place. Viktor est interpellé. Lors de son premier mandat, il a refusé le diktat des banques et des marchés, allant jusqu’à se réapproprier sa banque centrale avec son ami György. Peut-être faut-il aller plus loin ? La vie vaut bien plus que l’homo-economicus.

Mais ce qui tracasse le plus Viktor, c’est cette histoire avec le nucléaire. Continuant ses recherches, il tombe sur un article du Guardian annonçant la fin de l’uranium.

« As the British and American governments signal their renewed commitments to nuclear power as a clean, abundant source of energy that can fuel high growth economies, a new scientific study of worldwide uranium production warns of an imminent supply gap that will result in spiralling fuel costs in the next decades. »

N’importe quoi…

Il finit par atterrir sur cette vidéo, « There’s no tomorrow », qui confirme la thèse de l’article du Guardian. Le sommeil le prend peu à peu mais, inflexible, il s’agrippe à la souris : une étude financée par la Nasa annoncerait la fin de nos sociétés industrielles. Réduire les inégalités, sortir de nos dépendances aux énergies fossiles, sortir du productivisme et du consumérisme, sortir du capitalisme ! Lui qui veut faire de la Hongrie la rampe de lancement d’une reprise industrielle européenne…

Au terme de deux heures fructueuses, les yeux plissés, Viktor, vidé, retourne se coucher.

Les jours passent. Les mois défilent. Les fonds européens arrivent en masse, les investissements venant de l’Est ainsi que du Moyen-Orient aussi. Pour la première fois depuis bien longtemps, la Hongrie suscite l’admiration de toute l’Europe. On vient de Berlin, de Paris, de Londres, de Rome, de Madrid pour observer comme un oiseau rare la reprise économique tant attendue dans ces pays où règnent sans partage austérité et misère. Dans le pays de Viktor pourtant, c’est l’espoir retrouvé et les grands projets ! La Hongrie est un énorme chantier.

Toutefois, le malaise reste présent chez Viktor. Où est la joie de vivre dans ces grands projets ? Où est la poésie, l’harmonie avec la nature, la syntonie avec la terre hongroise ? La Hongrie, ce grand pays d’oisiveté, s’est remis au travail. Le mal-être et la perte de sens adoptent une courbe de croissance exponentielle.

Durant tout ce temps, Viktor n’en a pas pour autant laissé tomber ses lectures, bien qu’il n’ait jamais réussi à savoir qui donc avait glissé ce livre dans un sac. Poursuivant ses recherches, il reste interloqué par ce titre, lui rappelant celui de Schumacher : « Jólét gazdasági növekedés nélkul »… La belle vie sans croissance, un « Projet de Décroissance »…

Il s’en procure un exemplaire. Il y a un peu de Viktor dans ces chapitres contre la finance toute puissante, dans la critique de cette construction européenne et du poids des institutions économiques. Les limites, l’humilité : voilà ce qu’a toujours enseigné la terre hongroise. Son histoire. Mais plus encore le bien-vivre, la solidarité, la convivialité, les traditions ayant permis à cette langue, ce peuple isolé, de survivre à tant de siècles de dominations étrangères.

Viktor se questionne : quel sens donnons-nous à nos vies dans nos civilisations occidentales ? Pont entre l’Occident et l’Orient, la Hongrie sera le moteur, non plus de cette décadence, mais d’un renouveau.

Les Hongrois ayant tout inventé, ils inventeront la société de demain : soutenable, autonome et conviviale. Viktor l’a décidé, Viktor le fera…

Une fois de plus, la Hongrie redevient incomprise… C’est d’autant plus malheureux qu’elle était devenue un modèle à suivre…

L’Union Européenne décide de mettre en place les recettes hétérodoxes de la Hongrie d’Orbán, mesures d’abord incomprises, vilipendées puis encensées. Viktor est pressenti à la tête de l’Union Européenne. On taxe les banques, les produits financiers, l’accès aux marchés de l’énergie, de l’eau, est réglementé de manière stricte, la Banque centrale est reprise en main par le Parlement, la planche à billet tourne à flux tendus, les grands projets d’investissement repartent. Le chômage baisse et, emmenée par la Hongrie, la croissance repart et, avec elle, saccages et projets inutiles, conditions de travail dégradées et mal-être, stress et individualisme. La marche en avant du consumérisme écervelé…

A la grande surprise de ses collègues, Viktor s’enflamme au Parlement Européen et s’en prend de manière virulente à ces politiques inconscientes : dérèglement climatiques, pic de production de l’ensemble des énergies fossiles et des métaux, pollution grandissante, artificialisation des sols, impasse agricole, inégalités intenables, oligarchies toujours plus riche…Viktor, qui avait toujours rêvé d’être un des grands hommes de l’Europe, du monde, se met tous ses nouveaux amis à dos ! Il se brouille même avec Poutine en annonçant la fin du projet de construction de deux nouveaux réacteurs à Paks. La Hongrie sera le précurseur de la Décroissance : relocalisation ouverte, autonomie, convivialité, nouvelles agricultures avec l’agroforesterie, l’agro-écologie et la permaculture, partage du gâteau national par la mise en place d’un plancher de dignité en-dessous duquel plus personne ne doit être abandonné et d’un plafond au-delà duquel on considère que l’on tombe dans l’hybris.

Les lectures de Viktor continuent de creuser sa réflexion. Il lance un grand programme de délibération citoyenne sur les besoins fondamentaux, les biens communs, le sens de la vie et de nos productions : que produisons-nous ? Comment ? Pour quel usage ?

Après la révolution par les urnes, c’est la révolution citoyenne !

Tous les grands projets inutiles sont arrêtés net. Terminés les stades de foot, l’aéroport de Felcsut, les autoroutes. Viktor, décide de refuser ces financements européens qui pervertissent la société hongroise. La publicité est interdite. L’armée dissoute. En Hongrie, on commence à travailler moins pour vivre mieux.

Viktor vient voir de ses yeux toutes les alternatives concrètes qui se sont développées ici et là, un peu partout dans le pays. Il les soutient, les met en avant. D’îlots localisés, ces alternatives concrètes commencent à se multiplier : jardins communautaires en ville, éco-villages, coopératives, monnaies locales, banques de temps, atelier de recyclage, ateliers-vélo participatifs, productions artisanales, espaces de gratuité pour y échanger le superflu. La Hongrie créative et romantique renaît !

Au grand dam ses amis d’hier, Viktor œuvre à la création d’un revenu maximum. Echaudés par cette mesure, les János, Lajos et autre Antal rejoignent le MSZP. Viktor va même jusqu’à redistribuer les terres de manière équitable, le brouillant ainsi durablement avec Lörinc, son ami d’enfance et ami de toujours. Mais ce n’est pas grave, il faut bien en passer par là, le soutien populaire est massif. Une grande coalition inédite russo-européenne se met en place pour faire barrage à la Hongrie : les fournitures de gaz sont coupées, les importations de matières premières bloquées. C’est l’embargo !

Mais la transition est désormais lancée : les Hongrois inventent, expérimentent et mettent en place l’agriculture de demain, totalement autonome et décarbonné. Un revenu inconditionnel d’autonomie partiellement démonétarisé est voté et immédiatement mis en œuvre. Des systèmes locaux et décentralisés tous aussi ingénieux les uns que les autres voient le jour un peu partout dans le pays. La solidarité se renforce, les relations intergénérationnelles se ressoudent. Les écoles enseignent la communication non-violente, la citoyenneté, l’auto-gestion, le jardinage, la couture, mais aussi l’art, la littérature, la poésie, les sciences politiques, l’écologie, le multiculturalisme et les langues étrangères. Cette vague d’innovation s’étend jusque dans les territoires injustement perdus avec le traité de Trianon. Bientôt la Transylvanie fait sécession. La révolution est en marche…

Peu à peu, Viktor se retire. L’autocrate qu’il était n’est plus. Heureux de profiter de plages de liberté, il se consacre dorénavant à la chasse au papillon et à sa passion de toujours : le football. La Hongrie se décentralise, le peuple hongrois sort de la dictature de l’indifférence dans laquelle il était empêtré depuis des siècles.

Dans le même temps, tandis que Viktor n’est pas peu fier d’avoir ferré un gros poisson, l’Occident se retrouve dans une impasse terrible : par manque d’énergie et de matières premières, les grands projets inutiles sont mis à l’arrêt, l’agriculture, si dépendante du pétrole, ne parvient plus à nourrir les populations de ses sols morts. Le chômage explose, les soulèvements violents s’intensifient, l’éco-fascisme s’instaure progressivement…

La Hongrie, l’éternelle incomprise, est plus isolée que jamais. Mais qu’importe, elle sait qu’elle a raison. Ici, on mange bien, on vit bien et longtemps, on danse, on chante, on boit.

Ce pays qui a tout inventé, même la défaite, a retrouvé sa place en ouvrant la voie vers le monde de demain, grâce au petit Viktor. Comme son pays, il est petit… mais beau.

La Décroissance en Hongrie :

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