Chronique de Reporterre : « Entre idéalisme et réalisme : pour ne plus avoir raison tout seul… »

ReporterreNous publions régulièrement des chroniques sur l’excellentquotidien de l’écologie Reporterre.net : 

Susciter le débat est difficile quand on s’attaque à la société de croissance. « Comment s’ouvrir sans pour autant rompre avec la pertinence de notre pensée ? Comment être radical sans sombrer dans l’extrémisme ? (…) Comment s’ouvrir à l’autre pour ne plus avoir raison tout seul ? Car avoir raison tout seul, c’est avoir tort. »

Être décroissant dans une société de croissance n’est pas une chose facile. On est confronté à la gestion de plein de contradictions.

Juste pour reprendre quelques exemples développés dans mes dernières chroniques : être non-violent face à une situation qui pousse à la violence, devoir travailler dans une société de « bullshit job » productivistes et destructeurs de la planète ou encore devoir amener la Décroissance dans des institutions que nous rejetons ou critiquons. On pourrait allonger cette liste.

Entre idéalisme et réalisme

Être décroissant dans une société de croissance est un jeu d’équilibriste. On est sur une corde instable, si tant est qu’elle existe, entre risque d’excès de réalisme ou d’idéalisme. Le réalisme, par extrémisme, nous amène vers l’impasse du catastrophisme qui, par les peurs qu’il génère, s’avère contre-productif.

L’idéalisme puriste vers l’impasse de l’entre soi. Le réalisme, par absence de radicalité, peut aussi nous amener à alléger notre discours pour le rendre plus audible. L’idéalisme, par abus de confiance en nos capacités d’analyse et de rationalité, peut nous amener à oublier, même si nous ne l’avons pas choisi, que nous avons grandi, nous sommes imprégnés, nous vivons dans cette société de croissance que nous rejetons… On pourrait là aussi continuer…

Ces derniers jours, j’ai à la fois écouté plusieurs conférences de Philippe Bihouix et regardé le dernier film de Marie-Monique Robin « Sacré croissance ». Deux personnes dont je respecte énormément les contributions.

En tant qu’ingénieur, je me retrouve tout à fait dans le style et la manière de penser et de présenter les choses de Philippe Bihouix. Ses réflexions sur la fin des métaux, l’impasse physique de la société de croissance sont fondamentaux. Les portes qu’il ouvre sur « l’âge des low tech » apportent beaucoup d’espoir.

Par contre, je suis interpellé par son approche plus technocratique des solutions. En effet, je suis plus dans une approche décentralisée de la Décroissance, construite sur une masse critique partant du bas, que l’on retrouve chez Marie Monique Robin.

Trouver le juste équilibre

Si j’avais adoré Les moissons du futurs, film remarquable sur, je pense, une solution centrale et là aussi pleine d’espoir, comme les low tech, que représente l’agroécologie, je suis plus dubitatif après avoir vu le dernier film de Marie-Monique Robin.

A trop vouloir être pédagogue, rassurer, tendre la main, et il faut le faire, on en arrive à présenter des vraies-fausse solutions. En effet, et je suis d’accord avec Philippe Bihouix, mettre des panneaux solaires partout (voir l’exemple danois) est une impasse…

D’où l’importance et la pertinence de notre slogan provocateur et empêcheur de penser en rond : la Décroissance… substance radicale que la post-croissance n’a pas. Par contre, ce slogan est moins repoussoir que notre mot obus…

Mon propos n’est pas de faire le donneur de leçon en donnant les bons et les mauvais points aux uns et aux autres comme c’est malheureusementcoutumier chez certains décroissants. Mon propos est de réfléchir à comment trouver un juste équilibre.

En politique, s’il suffisait d’avoir raison, ça se saurait

J’ai commencé à m’intéresser à la décroissance avec Nicholas Georgescu-Roegen et ses réflexions sur l’entropie, les mythes énergétiques et l’imposture de l’économie classique, néo-classique dominant nos imaginaires et notre société…

Par la suite, je me suis concentré sur le peak everything (pic de toute matière, sur le modèle du pic pétrolier). Réflexions qui très vite m’ont enfermé dans une forme de catastrophisme rationnel. Très vite, je me suis rendu compte que rabâcher toujours plus fort que l’on allait dans le mur, que c’est prouvé physiquement, qu’il suffit d’ouvrir les yeux, était loin d’être suffisant pour amener mes interlocuteurs à changer d’avis… au contraire, je me coupais d’eux.

Pour ne plus avoir raison tout seul…

Alors, avec d’autres, je me suis intéressé aux limites culturelles, anthropologiques, de la société de croissance avec entre autres, les réflexions de Serge Latouche sur la critique au développement et l’abondance frugale, la convivialité d’Ivan Illich, l’autonomie de Castoriadis… et ainsi penser un projet de Décroissance souhaitable.


– Ivan Illich –

L’enjeu n’est pas de convaincre mais de susciter du débat. L’enjeu est de montrer que d’autres voies sont possibles, celles des alternatives concrètes, des solidarités locales et auto-gérées, de l’agroécologie, des low tech, mais aussi d’une autre démocratie, d’une sortie de la religion de l’économie, d’autres projets comme une dotation inconditionnelle d’autonomie couplée à un revenu maximum acceptable…

Il n’y a pas de recette magique. C’est d’ailleurs un des risques que nous avons pris avec notre « Projet de Décroissance » : que l’on applique ce projet alors que notre objectif est avant tout de susciter du débat, des discussions et réflexions constructives autour d’une base commune qui nous semble utile.

L’enjeu c’est changer le monde, de minimiser les violences, les domination pour non créer la société parfaite pour l’homme parfait mais les sociétés les moins violentes possibles pour les hommes et les femmes que nous sommes.

Pour cela, comment susciter du dialogue ? Comment faire se rencontrer toutes ces approches ? Comment poser sur la tables les vrais problèmes ?

Il n’y aura pas de grand soir, mais la transition est en marche, l’enjeu est de voir comment s’ouvrir à l’autre pour ne plus avoir raison tout seul. Car avoir raison tout seul c’est avoir tort.

Comment s’ouvrir sans pour autant rompre avec la pertinence de notre pensée. Comment trouver ces équilibres compliqués et non uniques ? Comment être radical sans sombrer dans l’extrémisme ?

Vincent Liegey
Remerciements à Géraldine pour sa relecture.

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