Le sport est devenu un outil au service de la croissance

« Le sport est un de ces outils de la société de croissance qui se trouve au cœur du pillage des ressources de la planète et de pollutions irréversibles. Est-il nécessaire de mobiliser tout cela pour jouir de la pratique sportive ? »


Une ville abandonnée, une autre en proie à de violentes manifestations, des pétro-dollars comme carburants … rien de nouveau finalement. Sauf qu’il ne s’agit pas d’évoquer Détroit, la crise grecque ou l’arrivée massive d’investissements émanant du golfe persique dans nos industries. Non, aujourd’hui, le collectif « Un Projet de Décroissance » propose de s’intéresser au sport. Ce sport qui a fait de Sotchi une cité olympique mais qui est déjà en ruine et ruinée ; le sport qui a provoqué l’embrasement de Rio en raison d’une coupe de monde de football scandaleusement coûteuse. Certes c’est le pays du football mais c’est aussi le pays des favelas ; le sport qui voit aussi les fonds d’investissements du golfe persique débouler sur les terrains, à croire que l’argent est le pétrole du sport, le menant à sa perte. Le sport n’est plus un simple jeu. Il est bien plus ou plutôt bien moins.

Alors que la situation environnementale, sociale et économique se détériore de jour en jour, que la crise n’apparaît plus comme une période transitoire vers un avenir meilleur, et que l’effondrement s’affirme désormais comme l’avenir de la société de Croissance, le sport reste un élément incontournable et une valeur refuge de notre société. Omniprésent, il va de l’activité sportive la plus basique, au défouloir version console, en passant par les vêtements, les secteurs de la santé et de l’éducation, ou comme vecteur de la société du spectacle.

Malgré ses centaines de millions de pratiquants sur la planète et ses milliards de téléspectateurs, son importance dans le commerce mondial, ses complicités politico-financières et son pouvoir hégémonique sur les corps, le sport reste souvent présenté comme un simple jeu.

Un simple jeu, neutre et bénéfique car il véhicule des valeurs saines comme la santé, le partage, l’amitié et œuvrerait à l’apaisement, à l’harmonie sociale et à la résolution de tous les conflits. N’est-il pas présenté comme un des remèdes aux maux de la société, à la fois ascenseur social et solution pour faire face à la délinquance ? Cette représentation du sport comme élément positif de notre société est évidemment le fait des tenants de notre système médiatique et politique, qui persistent à faire du sport un élément essentiel pour l’épanouissement de la population, quand ce n’est pas pour jauger de la bonne santé d’un pays … ou pour lui remonter le moral.

Le sport gaspille les ressources naturelles

Derrière cette façade idyllique, la réalité de l’emprise du sport dans notre société est bien différente. Elle est beaucoup plus insidieuse et pernicieuse. Ce simple jeu n’en est plus un. Il s’inscrit clairement dans la société de l’homo-economicus compétiteur, par son hyper-marchandisation. Ainsi, il provoque des dégâts considérables, en tant que pourvoyeur de Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) et Petits Projets Inutiles et Imposés (PPII), ainsi qu’en véhiculant des valeurs permettant de mieux contrôler les populations selon l’adage « mieux vaut courir que réfléchir ». « Opium du peuple », le sport est aussi énergivore et grand bétonneur de la planète, tout comme il est un exutoire de nos nationalismes.

Le sport est tombé dans la démesure. Il a besoin d’infrastructures toujours plus gigantesques ; que ce soit pour s’afficher avec la pratique de haut niveau – sa vitrine -, ou pour occuper les populations avec le loisir – qui fait écho au tourisme de masse et à l’hyper-marchandisation -. Nous sommes bien entrés dans l’ère du sport instrument du profit.

Celui-ci demande des infrastructures colossales, mais aussi du matériel et une pharmacopée de pointe nécessitant toujours plus de matières premières, de hautes technologies et d’énergie. Les grands stades ou les enceintes sportives gigantesques, dont les jeux olympiques sont spécialistes, ont une durée d’utilisation très limitée. Ils sont des exemples symboliques d’une démesure durablement enracinée dans l’espace, comme en attestent les vestiges des JO de Sarajevo, de Berlin, d’Athènes mais aussi ceux de Pékin et déjà de Sotchi. Toutefois, ils ne doivent pas nous faire oublier que les politiques publiques font du maillage du territoire par les équipements sportifs une priorité, car un atout pour l’éducation et la santé. Les gymnases, les bases de loisirs, les parcours d’accrobranches, les golfs ou encore la « synthétisation » des terrains se multiplient. Ces PPII deviennent gages d’attractivité pour les territoires. Un point commun avec ces GPII : les parkings géants accompagnent leurs sorties de terre. Car il ne faut pas oublier que le sport est synonyme de déplacements importants de populations et de matériels. La voiture escorte le sport dans sa marche en avant.

Artificialisation des terres, bétonisation, gaspillage de matières premières, demande en énergie toujours plus grande (le sport se pratique souvent le soir !), sans oublier sa participation à la grande usine du monde en supports textiles et en matériel de pointe indispensables pour pratiquer sa passion décemment, le sport est un de ces outils de la société de croissance qui se trouve au cœur du pillage des ressources de la planète et de pollutions irréversibles. Est-ce nécessaire de mobiliser tout cela pour jouir de la pratique sportive ?

Un vecteur de pollution mentale

 De plus, nous ne pouvons pas ignorer les pollutions visuelles et mentales du sport à travers ses infrastructures de communication, notamment la publicité dont il use et abuse. Les grandes marques de sport en sont l’exemple le plus affligeant, puisque nos enfants sont désormais plus aptes à connaître la virgule d’un équipementier américain, produisant à bas prix en Asie, ou la marque aux 3 bandes, que des feuilles d’arbres poussant dans leur environnement.

La logique sportive est caractéristique de la société capitaliste qui lui a donné le jour. Le sport actuel est le fruit de la société de croissance, à la fois sous-système et support idéologique. En effet, en plus d’être lié à la Croissance en tant que secteur économique bénéfique au capitalisme, il en porte les valeurs et la vision du monde : il occidentalise massivement la planète tel un nouveau colon expliquant les bonnes pratiques et les bons investissements à effectuer.

Le sport et la pratique sportive ne sont pas neutres et diffusent largement les valeurs de la société de croissance: éloge de la performance, de la compétitivité ou du rendement. Son organisation s’inscrit dans la logique croissanciste qui pousse au rendement, à l’efficacité, organisée en cela par les principes de mesure, de comparaison (record), de hiérarchie, etc.

C’est pourquoi la critique du sport est une condition de la critique sociale qu’il ne faut pas négliger. Aujourd’hui, tout le monde pratique les mêmes sports, avec les mêmes héros, mais aussi les mêmes marques. Ainsi, le sport contribue à coloniser nos imaginaires : entre deux annonces publicitaires, il prépare notre temps de cerveau disponible, il nous rend consommateurs et complices de la société de Croissance.

 « Du pain et des jeux » disait-on ? Aujourd’hui, nous dirions plus sûrement « des big-mac et du sport » qui se transforme souvent en « de la bière, du foot … du béton et du pétrole ».

Comprendre le phénomène sportif pour en sortir. Pour que le jeu reprenne sa place. L’enjeu est immense et n’apparaît peut-être pas comme prioritaire. Et pourtant, ce combat doit également être mené car l’individualisme et la compétition sont des valeurs que nous préférerions remplacer par le partage et la convivialité. Que la convivialité prenne le pas sur la compétition et non l’inverse.

Le sport reflète l’évolution de la société et ses tares deviennent de plus en plus visibles : elles étaient en lui depuis son apparition. La marchandisation et la recherche du profit n’ont pas « bafoué l’esprit sportif », il s’agit plutôt de la suite logique d’une évolution concomitante au capitalisme. Alors, pour que le sport redevienne un jeu, un simple plaisir et non une énième excroissance du productivisme capitaliste, pour faire évoluer les mentalités et amorcer un changement de société global,  il faut en finir avec le sport-roi, dès maintenant.

Des pistes peuvent d’ores et déjà être amorcées, comme la fin du professionnalisme qui donne trop d’importance au fait sportif, comme la fin de la démesure des installations et des événements sportifs, mais aussi la limitation des sports motorisés. Il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau de la piscine olympique trop vite. Certes, celle-ci a le goût de l’argent et du pétrole mais le bébé doit être sauvé et l’orienter vers le jeu, la convivialité et la sociabilité. Car le sport reste encore pratiqué candidement par des milliers d’enfants et pour cela, nous ne devons pas le laisser à la société de Croissance. Et ouvrir nos sociétés au … jeu, ni plus ni moins.


Auteurs : Christophe Ondet, Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Anne-Isabelle Veillot et Thomas Avenel, pour le collectif Un projet pour la décroissance

Versions : le texte ci-dessus est la version originale de l’article publié sur Reporterre en version courte.

A écouter : « Le sport et le business : un modèle pour gagner ?«  sur radio Copernic, dans le cadre de la publication de ce texte.

Photos :
- chapo : L’Intérêt
- caricature : Jacques Sondron

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