D’un écran à l’autre … C’est la rentrée pour Héloïse

Cette histoire est le premier épisode d’un triptyque, dont les deux suivants sont « D’un écran à l’autre … comment l’informatique nous pollue » et « D’un sourire à l’autre… C’est la rentrée pour Héloïse« 

07h00, il fait encore nuit lorsqu’une sonnerie retentit. C’est le signal pour Héloïse. Il faut se lever car son téléphone sonne. Aucun message. C’est d’ailleurs le premier réflexe d’Héloïse, 13 ans, scolarisée dans un collège de la banlieue parisienne. Quelques « like » sur les réseaux sociaux, elle en sourit. Il faut se lever maintenant et aller déjeuner. Quelques pas se font déjà entendre et s’accompagnent de bruits sourds dans la cuisine.
Héloïse s’assoit face à son bol de lait qu’elle regarde sans envie. Le téléphone est toujours dans la main, il la prolonge et semble favoriser sa communication et sa connaissance du monde, le croit-elle en tout cas. Aucune nouvelle pour l’instant. D’un coup, un fond sonore retentit dans la maison et un flash lumineux traverse la cuisine encore sombre. C’est Alexandre, le petit frère, également au collège, qui vient se vautrer sur le canapé avec son bol de céréales dans les mains, et la télévision comme compagnie.

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Leurs parents, quant à eux, se préparent, rangent la cuisine et, surtout, scrutent l’heure constamment. Il faut dire que l’emploi du temps du matin est serré. Car, en plus d’amener les deux « grands » au collège, il faut passer par l’école primaire déposer Théo, 8 ans, le petit dernier de la famille.
A 07h05, le téléphone d’Héloïse vibre, c’est un message : t’es réveillée ? Pour Héloïse, la journée commence, ses doigts s’agitent frénétiquement sur l’écran tactile en faisant écho aux sonneries signalant la réception de nouveaux messages.
A 7h20, c’est la course pour Héloïse. Un passage à la salle de bain pour se laver, se pomponner, avec le frère qui tape à la porte pour prendre la place, puis retour à la chambre pour s’habiller et vérifier son sac de cours. Le départ est fixé à 7h45. Il faut sortir la voiture de sa chambre, un beau garage de 20 m² puis emmener Théo à l’école, mais aussi Héloïse et Alexandre … en voiture car « cela va plus vite » et « le temps nous manque ».
A 8h05, arrivée devant le collège où une longue file de voitures s’agglutine devant le parvis. En sortant, le bruit est infernal et l’air est irrespirable. Héloïse rejoint ses camarades de classe. Une majorité écoute de la musique sur leur téléphone. Il est 8h10, les élèves peuvent entrer dans l’établissement. L’entrée dans l’enceinte du collège est un moment charnière car … il faut éteindre et cacher son téléphone. Un dernier regard, une petite larme virtuelle.
Une fois dans le hall, l’œil est attiré par un écran géant qui annonce fièrement les absences des professeurs, le menu de la cantine et une intervention de la ligue contre le cancer pour les élèves de 4ème le lendemain à 14h30. La sonnerie retentit à 8h15, c’est la mise en rang puis la montée dans la salle.

Marc Masson arrive devant le collège à 7h55. Il se retrouve bloqué devant le portail avec son véhicule. Il habite à moins de 5 kilomètres de l’établissement, mais venir autrement qu’en voiture ne lui a jamais traversé l’esprit : c’est tellement plus simple et plus rapide. Par contre, il est obligé de descendre de sa voiture pour contacter l’accueil de l’établissement avec l’interphone. Sa télécommande ne fonctionne plus. Il pense qu’il va falloir agir car c’est vraiment pénible comme situation.
A 8h00, il est dans la salle des professeurs, devant le photocopieur, et peut lancer une centaine de photocopies. Cela garnira les cahiers des élèves. A 8h05, il est assis dans un fauteuil avec un café  à l’odeur douteuse mais qui a quand même coûté 50 centimes. Il pianote sur son téléphone : sa femme est bien partie au travail. Un petit peu de navigation sur internet, un avion s’est écrasé en Europe mais pas de français dans l’appareil : ouf.
8h15, première sonnerie : personne ne bouge.
8h20, deuxième sonnerie. C’est l’effervescence. Il faut descendre et aller chercher les élèves pour les emmener dans leur salle.

Héloïse s’assoit à sa place habituelle, au deuxième rang, côté fenêtre, à côté de Lucie. Elles reprennent leur conversation de la veille, entamée sur facebook. Elles discutaient d’une photo d’une amie qui sortait du coiffeur. L’appel du professeur de mathématiques les ramène à la réalité.

Marc Masson a dû attendre quelques secondes avant de faire l’appel, le temps que l’ordinateur s’allume. Depuis deux ans, l’appel des élèves se fait en ligne et est transmis, via les tuyaux du net, en direct au service « vie scolaire » qui prévient alors les familles par SMS. Il préfère car cela évite de la paperasse. Il peut désormais commencer son cours. Il allume ensuite un vidéoprojecteur interactif qui est suspendu au plafond, c’est son « second », son adjoint. Le principe est simple : l’écran d’ordinateur est projeté sur le tableau blanc et, à l’aide d’un stylet, il peut agir directement sur le tableau blanc. Le tableau blanc est baigné par la lumière. Les 27 élèves de la classe n’y font presque pas attention. Nous sommes bien loin de l’émerveillement que cette technologie avait suscité auprès des élèves et du corps enseignant lors de son installation. C’est désormais la routine. Marc Masson y pense et se souvient qu’il y a 10 ans, c’est un tableau à craie qui trônait dans cette même salle. Et les élèves n’apprenaient pas moins bien. Pendant 45 minutes, le cours se déroule sans heurt, avec l’informatique comme alliée, car tout est projeté de façon progressive. A la fin de la séquence, il annonce que le cours sera mis sur « pro-Education » dans la journée. C’est le logiciel qui permet de recenser les absents, de contacter les familles, de renseigner les notes et de mettre à jour le cahier de texte de la classe.

Ah, c’est la fin du cours. A chaque fois que Masson précise qu’il mettra le cours sur « Pro-Education », c’est que la sonnerie va retentir. Héloïse range ses affaires. Ça sonne. La classe se lève d’un coup. Maintenant, il y a deux heures de français avec Mme Dupré. Direction le 1er étage et la salle 140. Là, l’écran projette déjà le titre de la leçon : « Littérature et résistance ». C’est reparti pour passer presque deux heures face à un écran. Ce cours assomme Héloïse, toujours à côté de Lucie ; elles discutent d’émissions de télé-réalité et de chanteurs. La sonnerie sauve les deux collégiennes de l’ennui. C’est la récréation. Des cris retentissent. Mme Dupré ne tentent pas de lutter, d’autant moins qu’elle retrouve les mêmes élèves juste après.

10h15, la salle des professeurs s’anime autour de ses deux points névralgiques que sont la photocopieuse et la machine à café. Les discussions fleurissent autour du comportement des élèves, de l’incapacité de l’équipe de direction mais aussi du ministère qui pond une énième réforme.  A les écouter, rien ne va. M. Hamzi, quant à lui, est rapidement interpellé par une de ses collègues dont l’ordinateur ne fonctionne pas. Il est référent « nouvelles technologies » depuis 10 ans dans l’établissement mais aussi professeur de technologie. Il s’étonne car il fonctionnait très bien lorsqu’il l’a vérifié le vendredi après-midi. Il avait simplement rebranché un câble encore une fois. Sa collègue explique qu’elle n’a pas pris la peine de vérifier pour ne pas perdre de temps mais elle n’a pas pu se servir de son vidéoprojecteur, ni faire l’appel. Un dialogue de sourd s’installe puisque M. Hamzi explique à sa collègue qu’elle aurait pu vérifier les branchements mais aussi vérifier qu’il fonctionnait ce matin. Sa collègue part, outrée, arguant du fait qu’elle n’est pas informaticienne. M. Hamzi est las, pas de merci et, lui non plus n’est pas informaticien. Il ne comprend pas que l’institution donne du matériel informatique à ses collègues mais que ces derniers ne font pas l’effort de se l’approprier. Par contre, sans lui, les enseignants sont désormais démunis … seuls face à leur classe.
Dans la cour, les élèves courent, chahutent, discutent, crient. Certains jouent, d’autres utilisent leurs téléphones, discrètement car c’est interdit, mais une tolérance s’est installée. Héloïse discute avec des copines, les mêmes discussions qu’elle avait en classe avec Lucie. A 10h30, la sonnerie retentit. Faut aller se ranger pour retourner au cours lénifiant de Mme Dupré.

10h30, Mme Dupré est la première à sortir de la salle des professeurs pour récupérer ses élèves. Elle est en retard dans son programme. Elle trouve ses élèves trop mous. C’est à cause de la télévision, de l’ordinateur et des réseaux sociaux qui, pense-t-elle, les abrutissent. Elle espère quand même ouvrir les yeux de quelques-uns.

Le cours de Mme Dupré n’aura pas retenu toute l’attention de Héloïse et de sa voisine Lucie. En sortant de la salle, les deux amies se demandent ce qu’il y a à manger. Car elles ont une heure de pause méridienne. Le repas, c’est un des bons moments d’une journée au collège. On est au chaud, assis. On peut discuter de vives voix et puis c’est bon. Tout le monde le dit. D’ailleurs, on a même un chef qui cuisine sur place, pense Héloïse. Aujourd’hui, au menu, c’est pomelos d’Israël, tomate bio d’Espagne, un rôti de veau accompagné d’une poêlée de légumes surgelée. Quant au dessert, c’est tarte aux pommes surgelée avec un produit laitier industriel. En effet, que du bon …

Après de vives discussions dans la cour de récréation sur la finale à venir d’une émission télévisuelle de concours de chant, les cours reprennent : c’est EPS, éducation physique et sportive.
La classe se rend au gymnase qui jouxte le collège. Sur le chemin, ça traîne. Dans les vestiaires, ça traîne également. Mme Spinoza, professeur d’EPS, commence par demander aux élèves une attestation de natation dans le cadre d’une sortie scolaire à venir. C’est sympa cette sortie, se dit Héloïse, on va faire de la voile, du canoë, du VTT et même de l’accro-branche pour certains. Par la suite, le cours se déroule tranquillement entre séquence de danse et attente en discutant avec les copines. Ensuite, c’est retour dans le vestiaire. C’est la valse des déodorants. Les visages sont rouges et un mélange d’odeurs superficielles et de transpirations flottent dans l’air. Sortir est une libération. C’est la récréation. Les discussions entamées lors du cours d’EPS peuvent reprendre mais s’arrêtent lorsque la sonnerie retentit. Maintenant, c’est le cours d’anglais de Mme Sautier.
En arrivant dans la salle, le vidéoprojecteur est évidemment allumé. Mme Sautier fait l’appel rapidement, comme à son habitude, scotchée devant son ordinateur. Elle prévient clairement que le cours ne fera que 45 minutes car ensuite elle parlera du voyage scolaire qui concerne la classe. Les cours de Mme Sautier sont denses, aucun répit pour Héloïse qui ne peut pas s’évader quelques secondes. Alors, lorsque celui-ci s’achève et que Mme Sautier prend enfin son temps pour parler du voyage scolaire à Manchester, Héloïse sourit enfin. Mme Sautier insiste sur la paperasse administrative et le paiement qu’il faut apporter rapidement. Une réunion aura lieu avec les parents. Le transport se fera en avion car cela fait gagner du temps et que c’est une très bonne expérience pour les élèves Après, tout, vous ne le prenez pas si souvent que ça, leur dit Mme Sautier.

16h45, la journée au collège prend fin pour Héloïse. La sortie est une libération. Son premier réflexe est de rallumer son téléphone portable. Elle reprend vie. Un écran remplace d’autres écrans…

A suivre …/…

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