D’un sourire à l’autre… C’est la rentrée pour Héloïse

Le texte ci-dessous est un retour spontané à la diffusion « D’un écran à l’autre … C’est la rentrée pour Héloïse« . Cette sympathisante y présente sa propre version de notre histoire.  Sa petite fille a illustré cette histoire avec son dessin. C’est avec un grand plaisir que nous diffusons le texte ET le dessin.
Cette épisode ferme ainsi notre triptyque dont le second était « D’un écran à l’autre … comment l’informatique nous pollue »

d'un sourire à l'autre - bdDessin de Sophie, 9 ans

07h00, il fait encore nuit lorsqu’une sonnerie retentit. C’est le signal pour Héloïse, 10 ans, scolarisé dans un collège de banlieue parisienne. Elle se pelotonne avec délice dans sa couette toute chaude. Encore quelques minutes, puis maman viendra la réveiller avec un baiser. Héloïse fera semblant de dormir très profondément, juste pour prolonger ce moment de tendresse, où maman lui murmure des mots gentils à l’oreille, qui viennent se mêler à son rêve de cette nuit. Les yeux fermés, elle va respirer l’odeur de sa maman toute fraîche, signal que la journée commence, qu’il va falloir s’activer, mais pas tout de suite… D’abord, le câlin, les bisous, pour s’extirper en douceur du confort de la nuit. Il faut se lever ensuite, et aller déjeuner. Quelques pas se font déjà entendre et s’accompagnent de bruits sourds dans la cuisine. Héloïse s’assoit en face de son bol, ses deux tartines, une pomme du jardin, qu’elle regarde avec envie. Elle a un appétit d’ogre. Le petit déjeuner est un de ses moments préférés. Elle a posé à côté d’elle le troisième tome du cycle I de La guerre des clans. Elle a toujours un livre à portée de la main. Chaque livre te prolonge et favorise ta communication et ta connaissance du monde, a décrété Mme. Dupré, sa prof de français. Héloïse ne voit pas trop en quoi les palpitantes aventures de matous sauvages vivant dans la forêt peuvent l’instruire sur le monde, mais elle aime bien Madame Dupré et elle lui fait confiance. Diabolo, chat domestique, vient se frotter contre ses jambes en ronronnant. Peut-être un jour nous quittera-t-il, pense Héloïse. Peut-être un jour l’appel de la liberté sera le plus fort. Il aura à subir plusieurs épreuves avant d’être accepté dans le Clan du Tonnerre. Il aura un nouveau nom, forcément. Il s’appellera Tornade Noire et gagnera le respect de ses congénères, par son courage et son dévouement. En attendant, Tornade Noire mastique sans conviction ses croquettes. D’un coup, un bruit de cavalcade retentit dans la maison et Alexandre, le grand frère d’Héloïse, vient s’asseoir à côté d’elle. Il lui pique le pot de confiture d’oranges amères. Il n’en reste plus beaucoup et Héloïse scrute avec inquiétude la couche énorme qu’il étale sur sa tartine. Il va falloir que maman en refasse, et vite. Heureusement, le pot de miel est à peine entamé. Les parents, quant à eux, se préparent, rangent la cuisine. Ils rigolent et Héloïse, qui n’a pas suivi la conversation, termine avec entrain sa dernière tartine. Allez hop ! C’est l’heure. Un bref passage par la salle de bain, on enfile le manteau, les gants, l’écharpe, et la voilà dehors dans l’air glacé. Elle n’est pas assez grande pour aller au collège en vélo, comme Alexandre. Il y a trop de voitures, maman n’est pas rassurée. Cette année encore, elle ira à pied. Tiphaine et Riwan, les enfants des voisins, y vont toujours en voiture, dans leur 4×4 super moche[1]. Héloïse a un peu honte pour eux. Peut-être, quand il fera beau, proposera-t-elle à Tiphaine de faire la route avec elle. Elle lui expliquera que les bagnoles, en ville, ça pollue terriblement et que l’exercice, c’est bon pour la santé. Mais il y a des choses qu’elle ne pourra pas expliquer, et que Tiphaine comprendra toute seule si elle vient avec elle. Ce moment de liberté qui n’appartient qu’à soi… C’est assez grisant de marcher sans adulte à côté, dans un environnement connu mais plein de dangers potentiels. On fait gaffe en traversant. Les arbres nous accompagnent. On écoute les oiseaux. On respire l’air frais à pleins poumons. On se raconte des histoires. Héloïse connaît une route spéciale, bien tranquille, des rues bordées de maisons calmes avec des jolis jardins. Elle montrera à Tiphaine son passage « secret » sous une allée ombragée. Parfois elle fait des trouvailles intéressantes : des cailloux, des petits bouts de bois, des bouchons, des bouts de ficelle. Tout ça lui sert pour les personnages qu’elle bricole.

Marc Masson arrive devant le collège à 7h55. Il se sent héroïque, revigoré. Oui, ça y est, depuis quelques jours, il fait l’expérience de se rendre à l’école à pied. Non franchement, c’est tellement plus simple et moins stressant. Tous ces abrutis au volant de leur voiture ! Dire que lui, il y a peu, il était encapsulé comme tous les autres, fulminant dans les embouteillages, tirant sur sa clope, branché sur les ondes ; pas étonnant, s’il déboulait dans la salle de cours de très mauvais poil[2]. C’est dingue comme un acte en apparence aussi anodin apporte de satisfactions inattendues. Il a franchi les 4,5km qui le séparent de son établissement d’un pas élastique, sans même y penser. En fait, il avait le cerveau bien occupé. Un prénom dansait dans sa tête. Sophie. Sophie. Sophie. Les lèvres de Sophie. Les yeux rieurs de Sophie. Le beau corps de Sophie, abandonné dans ses bras à lui, et cet élan partagé, primordial, irrésistible, qui les faisait s’aimer encore et encore, la tête lui tourne quand il y pense. Marc rigole en voyant la file de voitures bloquées devant l’interphone en panne. Tiens, il n’a pas pensé à allumer sa clope. Tous ces pots d’échappement lui coupent l’envie. Bizarrement. Il jette un regard débonnaire sur ses collègues dans la salle des profs. De quoi parlent-ils ? Il a déjà oublié. Il a oublié aussi de faire ses photocopies. Le voilà dans la salle de classe. L’ordinateur est éteint, et, pense Marc, il va rester éteint toute la journée. Aujourd’hui, annonce-t-il, changement de programme. Il regarde avec affection les 27 élèves de sa classe. Nous allons parler de notre dépendance vis-à-vis de la technologie. La vôtre, la mienne, car on est tous logés à la même enseigne. Enfin à peu près. Et l’heure est venue, mes petits amis, d’entrer en résistance. Marc ne se sent pas très légitime sur le coup. Mais ce matin, il est inspiré. Pas question de tricher, de se poser en modèle. Pendant 45 minutes, le cours se déroule dans une atmosphère passionnée. Et le prof n’est pas celui qui parle le plus.

On enchaîne à présent avec Mme. Dupré. Titre de la leçon : « Littérature et résistance ». Pas possible, ils se sont donnés le mot, les profs, ce matin ! Héloïse n’est pas la seule à adorer ce cours. Cette prof serait fichue de vous faire lire Proust à dix ans. On ne se lasse pas de l’écouter raconter les histoires qu’il y a dans les livres, ni parler de la vie des auteurs : ils cessent d’être de grands personnages rébarbatifs pour devenir des êtres humains tourmentés, émouvants, fascinants. En fait, celle qui est tourmentée, émouvante, fascinante, c’est Mme. Dupré, quand elle lit à voix haute les extraits de ses auteurs favoris. Elle se déplace sur l’estrade en actrice consommée. Elle est « à fond ». Et le public est à fond aussi. Elle secoue ses élèves, les fait rire souvent et parfois aussi, leur arrache une larme. La sonnerie retentit toujours trop tôt, comme une dissonance. L’envoûtement se rompt, et les élèves redescendent lentement sur terre, échangent quelques regards, disent à tout à l’heure à leur super prof avec des sourires complices, sortent de la classe en silence. La récréation, c’est l’entracte.

10h15, la salle des professeurs s’anime autour de la vieille cafetière qui-marche-toujours-on-ne-sait-pas-comment. Mme. Rodriguez, la prof d’espagnol, a ramené du café zapatiste, qu’elle achète à une association locale soutenant les petits producteurs du Chiapas. Il est fameusement bon, leur café. M. Hamzi, professeur de technologie, le savoure consciencieusement, sans sucre, pour mieux apprécier le goût. Hamzi est référent « nouvelles technologies » depuis dix ans dans l’établissement, mais aussi objecteur de croissance convaincu. Il a réussi à persuader le Principal de l’établissement de refuser les tablettes iPad que le Département avait décidé d’octroyer généreusement à l’ensemble des collégiens. Marc Masson était outré, à l’époque, mais maintenant il commence à le regarder d’un nouvel œil, ce collègue. Les élèves lui ont posé un certain nombre de colles, ce matin, il s’est senti piégé et presque d’accord avec eux et pourtant, bordel, il sent qu’il a raison, qu’il tient le bon bout… Hamzi pourrait lui filer quelques tuyaux. Il la ressent depuis belle lurette, lui, cette emprise de la société technicienne qui nous conditionne, se dit Marc. Il se rapproche stratégiquement de l’autre, balbutie trois mots sur les nouvelles technologies, sourit. La conversation s’engage.

A 10h30, la sonnerie retentit. On va vite se ranger pour retourner au cours galvanisant de Mme. Dupré. Elle est la première à sortir de la salle des profs pour récupérer ses élèves. Elle est en retard dans son programme. Mais peu importe, elle est avant tout au service de la cause. La télévision, l’ordinateur et les réseaux sociaux abrutissent les élèves, leur cerveau est tout ramolli. Heureusement, il y a la littérature. Elle espère bien communiquer au plus grand nombre la passion des livres, qui les sauvera.

En sortant du cours, Héloïse et son amie Lucie se demandent ce qu’il y a à manger. Car elles ont une heure de pause méridienne. Le repas, c’est un des bons moments d’une journée au collège. On est au chaud, assis. On peut discuter de vive voix et puis c’est bon. Tout le monde le dit. D’ailleurs, on a même un chef qui cuisine sur place, pense Héloïse. Aujourd’hui, au menu, c’est carotte râpée-céleri en entrée, saucisse-haricots, fromage et pomme. On a appris à ne pas gaspiller le pain. Tous les fruits et légumes sont de saison, et proviennent de producteurs locaux et bio, les laitages et la viande aussi. Un partenariat a été établi il y a quelques années avec une Amap, à l’initiative de M. Hamzi. A l’époque, il s’est beaucoup impliqué et a provoqué une petite révolution, pour mettre fin au contrat avec le prestataire de service habituel. Les parents, les collègues, les collégiens, ont été nombreux à le soutenir. Les repas industriels tout-prêts emballés sous vide, c’est du passé désormais. Et aujourd’hui, tout le monde est content. Mais Hamzi ne s’arrête jamais. Il milite désormais pour qu’on serve des repas végétariens. Quelques élèves le suivent et font « la grève de la viande ». Double ration de pain et de légumes pour ceux-là.

Après de vives discussions dans la cour de récréation, à propos de la mort de Plume Rousse, ancien chat lieutenant du Clan du Tonnerre, les cours reprennent : Héloïse et Lucie ont EPS, éducation physique et sportive. Le gymnase jouxte le collège. Les élèves s’y rendent dans un joyeux désordre. Mme Spinoza, professeur d’EPS, commence par leur demander une attestation de natation dans le cadre d’une sortie scolaire à venir. C’est sympa cette sortie, se dit Héloïse, on va faire de la voile, du canoë, du VTT et même de l’accro-branche pour certains. Par la suite, le cours se déroule tranquillement entre séquence de danse et attente en discutant avec les copines. Ensuite, c’est retour dans le vestiaire. Héloïse et Lucie reprennent leur discussion. Des copines se joignent à elles. Elles sont un petit groupe à dévorer la saga d’Erin Hunter, dont Mme. Dupré leur a appris qu’il s’agissait d’un pseudonyme : en réalité les livres sont le fruit d’une coopération entre plusieurs auteurs. Comme les auteurs de la saga, leur groupe est constitué de cinq filles, et un garçon : cela leur a donné l’idée d’inventer, à leur tour, un roman d’aventures. Héloïse se charge des scénarios, Camille et Solène discutent les idées et proposent des améliorations, Lucie et Maxime s’occupent des illustrations, Capucine, qui a la plus jolie écriture, recopie sous la dictée des autres. Pour l’instant, on en est au chapitre 1. C’est un secret partagé, qui leur vaut bien des distractions en cours.

Maintenant, c’est le cours d’anglais de Mme Sautier. Ses cours sont denses, pas question de s’évader quelques secondes, mais Héloïse lance des clins d’œil complices à ses amis ; elle attend comme eux le moment où il va être question du voyage scolaire à Manchester. Mme Sautier insiste sur la paperasse administrative et le paiement qu’il faut apporter rapidement. Pas question que, faute de moyens, certains d’entre eux restent en rade, précise-t-elle. Les parents en difficulté doivent la contacter le plus rapidement possible ; on trouvera une solution. Une réunion d’information aura lieu prochainement. Nous prendrons le ferry car c’est un moyen de transport moins cher et moins polluant que l’avion et c’est une très bonne expérience pour les élèves, leur dit Mme. Sautier. Après tout, vous ne le prenez pas si souvent que ça, hein. Mais gare au mal de mer ! Héloïse se demande si elle verra des grands dauphins, depuis le pont.

16h45, la journée au collège prend fin. C’est l’hiver, une pluie fine tombe et la nuit n’est pas loin. Héloïse modifie son itinéraire de retour pour faire une partie du trajet avec Lucie. Et toutes les deux, dans le bruit des moteurs et la foule des piétons pressés, dans le froid qui colle à la peau et la ville qui tout doucement s’illumine, marchent à l’unisson, riantes et le cœur léger. Au coin d’une rue, Marc Masson les dépasse d’un pas allègre, se retourne, leur fait un petit signe de la main.

Sophie (9 ans) et maman Anouck

[1] Pardonnons à la petite Héloïse sa vision très orientée et peu amène du véhicule en question…

[2] Les propos de Marc Masson, personnage prompt à s’enflammer, peuvent paraître quelque peu agressifs et moralisateurs. La rédaction tient à souligner qu’ils n’engagent que lui.

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